Contes du Pays d'Azur, par Edmond Rossi
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Quand le déshonneur est public, il faut que la vengeance le soit aussi. [Pierre Augustin Caron de Beaumarchais]

LA VENGEANCE DE LA MASCA

la vengeance de la masca

Il était notoire que la brûlante Malvina, une brune au teint de lait et aux yeux verts, connue comme une redoutable sorcière et crainte pour cela par les gens de la vallée de la Roya, fréquentait sans vergogne son promis, Hippolyte, un solide gaillard de Breil.
C’est ainsi que chaque soir, sa journée finie, l’homme en soupirant assidu, quittait le village pour grimper vers le vallon de la Maglia rejoindre une maisonnette nichée dans les oliviers où demeurait sa fiancée, la masca à la chevelure de jais.
Hippolyte s’attablait alors pour souper avec la belle hôtesse qu’il trouvait chaque fois un peu plus fascinante dans la douce lumière de la lampe à huile.
Le menu variait à chaque occasion et avait de quoi faire rêver plus d’un gourmet ! Tagliarini faits main, boursottes farcies de poireaux frits, d’épinards, de blettes, de riz, d’anchois et de fromage ! Le tout dans une pâte croustillante, tourtes de courgettes, de blettes ou de tomates, suggeri, et, pour finir la crechente, délicate brioche parfumée d’anis et de raisins secs. Captivé comme un papillon par les reflets exaltant les mets et l’objet de ses désirs, le fiancé avait tenté d’approcher d’avantage Malvina, sous le prétexte de ne pouvoir résister aux effets aphrodisiaques de sa cuisine, mais chaque fois en vain.
Econduit, le malheureux garçon connaissait par cœur l’implacable réplique repoussant ses élans amoureux : « Non, pas ce soir, tu me plais bien, mais sois patient, j’ai à faire avec des gens d’importance qui n’accepteraient pas ta présence ». Rien n’y faisait, ni la courtoisie, ni l’insistance brutale.
Rejeté, Hippolyte reprenait alors, la tête basse, le sinueux sentier descendant dans la nuit vers les lumières scintillantes du village.
Parfois, il en vint à regretter les plats moins élaborés des modestes cordons bleus de Breil, mais presque aussitôt l’image envoûtante des yeux verts de sa diabolique amie écartait ces rêveries d’une vie plus sage.

Un soir, désirant en avoir le cœur net, il se dissimula dans un taillis proche de la maison de la belle. Les heures passaient, au douzième coup de minuit, Malvina sortit vêtue d’une étincelante robe blanche à longue traîne, la chevelure gonflée encadrant son visage outrageusement maquillé, puis saisissant un balai de genêt, posé près de la porte, elle l’enfourcha comme une véritable sorcière et glissa plus qu’elle ne marcha en direction du pont d’Ambo. 
« Fille du Diable » murmura son fiancé, puis aussi agile qu’un chamois, il s’élança sautant les restanques à grandes enjambées pour suivre l’aérienne Malvina et parvenir enfin aux abords d’une vaste...



Vue mer : crédit photo Aseed