Cette année-là, j'étais de passage à la foire de la Saint-Denis à Guillaumes, authentique reflet des activités agricoles de la montagne. Tout en me promenant d'un étalage à l'autre je tentais de mesurer ce qui résistait encore à la pression impitoyable des temps modernes, tant dans l'usage des outils et des vêtements traditionnels que par les manières et les gestes. J'étais plongé dans mes réflexions lorsqu'un attroupement attira mon attention. Je m'approchai pour voir sans doute quelque vendeur proposant « l'affaire du jour » à ne pas manquer.
J'aperçus alors au centre des badauds, un homme d'une cinquantaine d'années, portant un collier de barbe grisonnante, vêtu de noir dans un costume râpé à queue de pie, chapeauté d'un anachronique haut-de-forme, parIant d'une belle voix de basse à un public captivé: « Mesdames, messieurs, nous avons tous en nous la force psychique, celle qui nous permet d'agir par l'esprit sur la matière. Vous avez vu comment sans la toucher, simplement en me concen­trant, j'ai pu tordre cette cuillère en fer. Chacun de vous peut, comme je le fais, déplacer un objet à distance par la seule force de sa pensée. Ce n'est qu'une question de patience et d'entraînement, alors très vite ce pouvoir surnaturel se développe. Déjà chez l'enfant ces dons existent, mais l'éducation supprime très vite ces dispositions extraordinaires normalement acceptées chez l'animal.
C'est ce qu'on appelle le sixième sens, celui de la perception par l'instinct. »
Puis s'adressant à une spectatrice placée au premier rang: « Madame, vous êtes veuve depuis deux ans, vous avez perdu votre mari dans un terrible...