Le Grand Cahier ou les stratégies de la subsistance en temps de guerre. Pour servir cette histoire fascinante, Paula Giusti fonde son spectacle sur un travail de chorégraphie des comédiens. À la férocité du texte, elle répond en mobilisant une esthétique d’une grande poésie. Au service d’une dure réalité, un grand moment de théâtre .

C’est la guerre. Soldats, officiers, occupation, pénurie, froid, combines, déportés. Deux gamins encore tendres, deux frères jumeaux sont laissés chez leur grand-mère, une femme sèche et dure. Afin de survivre ils vont élaborer une morale personnelle et une discipline de vie fondée sur des exercices d’endurcissement physique et psychologique, le tout renforcé par la lecture et l’enrichissement de l’esprit.

Mise en scène par l’argentine Paola Giusti, la pièce se donne sur un grand plateau nu, nimbé d’une lumière crépusculaire. Une valise, des bougies, des tissus, et tout est là. Le reste, c’est à dire l’essentiel, est assuré par des comédiens qui passent d’un rôle à l’autre sans prendre le temps de dire ouf, des comédiens qui vous regardent droit dans les yeux avec un sourire de joie féroce. Interprétés par deux formidables actrices au maquillage expressionniste, les jumeaux sont là, à deux pas des spectateurs, pantins humains manipulés comme des marionnettes à taille humaine par un troisième comédien. Et presque tous les autres personnages sont dédoublés: si ce n’est toi, c’est donc ton frère… On est happé par cette danse du mal en train de se faire. Du très, très bon théâtre.