Contes du Pays d'Azur, par Edmond Rossi
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Suis le chemin et ne t’y couche que pour mourir. [Colette]

LA PIERRE DU LOUP

la pierre du loup

Le froid mordait cruellement le visage de Gratien qui, à grandes enjambées, remontait dans la neige le « Coulet déou Claous », cette colline aride qui domine le village de Villeneuve-d'Entraunes. Plus bas, le scintillement joyeux des lumières attestait de la suite des festivités de la Saint-Sébastien. Gratien enfonça son chapeau et souleva la lampe à huile pour mieux reconnaître les traces de pas laissées la veille. Appuyé sur son bâton, il avançait vers ces autres lueurs incertaines qui dominaient la vallée depuis leurs balcons abrités… Bientôt il serait là-haut, à Bante, pour s'occuper des bêtes qui devaient l'attendre. Théodule voulait le retenir jusqu'au lendemain pour lui faire goûter ces fameux cruisses à la sauce de noix, fruits du savoir d'Henriette son épouse; mais il avait refusé, lui promettant de redescendre si tout allait bien là-haut. Le festin d'hiver offrait pendant une bonne semaine maintes occasions de s'amuser et de faire bombance. Mais il fallait penser aussi aux vaches et aux moutons qui réclamaient soins et nourriture. Gratien n'avait pas hésité; il était parti après avoir bu un bon vin chaud parfumé à la cannelle. Au souvenir de ce délicieux breuvage, il passa sa langue sur ses lèvres durcies par le gel; il en conservait encore le goût dans la bouche.
Après un détour du chemin, Villeneuve disparut et il ne resta plus devant lui que les solitudes désertes du plateau entaillé par le vallon de Riou Fejan. La lune s'était levée dans un ciel étoilé, rendant désormais inutile l'usage de la lampe. Le paysage se découpait avec des ombres allongées, soulignées par la clarté et l'éclat de la neige.
L 'homme cheminait maintenant avec plus d'assurance, aussi il s'accorda un arrêt pour satisfaire un besoin naturel.
Alors qu'il allait reprendre sa marche, Gratien sentit comme une présence diffuse qui le mit mal à l'aise. Observant les alentours, il eut l'impression qu'une silhouette se déplaçait plus bas sur le sentier qu'il venait de parcourir. Une hallucination: rien n'avait bougé. Rassuré, Gratien scruta avec plus d'attention. Non il n'avait pas rêvé, quelque chose s'avançait à sa rencontre.

Très vite le voyageur avait identifié la nature de la forme grise qui filait bon train sur ses traces. Bientôt elle l'aurait rattrapé. Accélérant le pas, l'homme chercha un abri face au danger qui se précisait. Mais quelle parade trouver devant la menace d'un loup affamé ? Car c'était bien d'un loup qu'il s'agissait. Pas de maison à l'horizon et...



Vue mer : crédit photo Aseed