Contes du Pays d'Azur, par Edmond Rossi
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La fraternité est ce qui distingue les humains. Les animaux ne connaissent que l’amour… [Jean Giraudoux]

LES DOS FRAIRES

les dos fraires

La légende des Dos Fraîres (les deux frères en Provençal) remonte à bien longtemps, à cet obscur Moyen Age où les guerriers brutaux côtoyaient les troubadours « qui caressaient une branche de cerisier ou le prénom d’une femme aimée » comme l’a si bien écrit Christian Bobin.

Les Giraud, frères jumeaux, possédaient en commun le château de Fougassières, dressé sur un rocher surplombant la basse vallée de l’Esteron. Leur fief composé d’un pauvre village et de quelques arpents de terre aride rapportait si peu qu’ils décidèrent d'aller chercher fortune ailleurs. Si Marcel s’engagea pour la croisade en Terre Sainte, Martin, fin lettré taquina la muse avec talent au point d’être très vite reconnu comme un des grands chantres du pays d’Oc.
Devenu un troubadour estimé, son haut lignage et sa bonne réputation l’entraînèrent à fréquenter les cours de fine amour.
Parcourant la Provence, il s’arrêta un soir pas loin de chez lui, au château de Bouyon, célèbre pour les fêtes qu’y donnait Raymond Laugier seigneur riche et généreux.
Paradoxalement, ces réjouissances ne parvenaient pas à chasser la mélancolie affichée par sa fille Clarette, ceci depuis la blessure infligée par Gilles Blacas de Carros qui n’avait fait aucun cas des faveurs promises par la jeune fille.
Plongée dans une bouderie puérile Clarette, rêveuse, oubliait ses pouvoirs de séduction pourtant bien réels. Avec ses boucles dorées encadrant un fin visage éclairé par des yeux pers, elle avait su conserver les élans et la gaucherie attendrissante de l’enfance. Hélas, l’ingénue à la mine friponne de jadis oubliait son sourire, pour s’enfermer dans un isolement inhabituel, propre à troubler son entourage.

Lorsque Martin Giraud remarqua la demoiselle, il s’enflamma au point d’improviser des poèmes dont la nature et l’objet ne laissaient aucun doute sur ses sentiments.
La fête achevée, la décence et les règles de l’amour courtois l’obligèrent à rependre son destin de saltimbanque le long des chemins.
Un temps flattée et sensible aux belles paroles du troubadour, Clarette plongea à nouveau dans son chagrin après le départ de son soupirant.
Ses longues promenades à cheval au travers des forêts du Cheiron ne s’achevaient qu’au déclin du jour. Elle rentrait alors fourbue, pour tomber dans les bras de sa tante, la bonne Adélaïde qui essuyait parfois les larmes de son pauvre visage tourmenté.

Un soir, au détour d’un chemin, la jeune fille aperçut une ombre furtive se faufilant au travers des taillis, pour réapparaître plus loin dans une clairière.
César, son cheval, dressa l’oreille avant de s’immobiliser puis de se cabrer en hennissant de peur à la vue d’un étrange animal gris qui s’avançait vers eux en trottinant d’un pas décidé. Clarette n’en croyait pas ses yeux. Parvenu à peu de distance, la bête se leva sur ses deux pattes arrières avant de s’adresser à elle sur un ton moqueur : « N’ayez crainte gente demoiselle, je suis Martin Giraud votre voisin poète ! Puis se débarrassant de la peau de loup qui le couvrait, le jeune troubadour ajouta : « Pardonnez-moi ce subterfuge, mais grand était mon désir de vous revoir,
j’ai imaginé ce déguisement pour pouvoir vous rencontrer à nouveau loin des hommes et ainsi ne pas...



Vue mer : crédit photo Aseed